Les tapisseries de La Chasse

étaient-elles considérées

comme un " talisman " ?

 

Quels Hymnes, se demande Howard Comeau, chantait-on aussi devant les tapisseries de La Chasse ?

Etaient-elles considérées comme un " talisman " ? Comme le fut peut-être le " Printemps " de Botticelli.

- collier bleu comme le firmament
- ponctué de 7 cercles qui représentent les planètes et leurs orbites

Il y aurait certainement grande pertinence à rechercher dans chaque tapisserie le dessin caché de la représentation symbolique de chacune des sept planètes selon le tableau suivant :

 

Nous avons voulu découvrir page précédente (Le Zodiaque) des " signes " cachés, des dessins dissimulés dont la fonction pouvait être celle d'un talisman. Bien entendu, aucune certitude n'habite ce que nous avançons : simple hypothèse pour " posséder " ou " se faire posséder " par ces étranges tapisseries de La Chasse.

La connaissance de ces " characteres " n'était réservée qu'aux initiés (les princes et les princesses à l'école d'Anne de France ?) qui en comprenaient et en acceptaient la puissance.

Deux textes nous aideront à mieux saisir la destination " talismanique " des tapisseries :

— Nicolas Weill-Parot, L'irréductible destinativité des images : les voies de l'explication naturaliste des talismans dans la seconde moitié du XVe siècle. Dans L'art de la Renaissance entre science et magie : [Colloque International organisé par le Centre d'Histoire de l'Art de la Renaissance, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, Paris, Institut d'Art et d'Archéologie, 20 - 22 juin 2002] / sous la direction de Philippe Morel - Paris : Somogy, 2006

— Claude Lecouteux, Le Livre des talismans et des amulettes, Imago, 2005

 

1- Qu'est-ce qu'un " talisman " ?


" Pour faire simple, nous retiendrons que l'amulette est avant tout un objet protecteur tandis que le talisman, tout en l'étant aussi, est un objet producteur ou pourvoyeur. Dans la première, ce qui compte est la matière, pour le second, l'important est le rituel. " (Claude Lecouteux, p. 28)

" Les characteres - nous utiliserons le terme avec cette orthographe pour éviter toute confusion - ou signes et symboles magiques, forment l'un des ensembles les plus intéressants de l'histoire méconnue des croyances médiévales.

Dans son traité sur la Doctrine chrétienne (II, 20), saint Augustin note que le pouvoir des amulettes et des phylactères dépendrait de ces signes.

Pour Tertullien, c'est le démon qui les a inspirés. La dénomination de ces symboles est multiple - nous rencontrons signum, signaculum et figura avec le même sens - et a dû correspondre à une typologie. " (Claude Lecouteux, p. 28)

 

" En 744, un capitulaire définit les phylactères comme des amulettes recouvertes d'écriture et de signes magiques, que les gens portent au cou avec on ne sait quels mots écrits.
Un manuscrit du Xe siècle nous apprend que les characteres sont des " lettres secrètes " ; certaines rentreraient aujourd'hui dans ce que l'on appelle des mots cabalistiques ou des signes ésotériques. D'autres relèvent d'alphabets secrets car les magiciens cryptaient souvent leurs textes, et un dernier groupe relevant de la magie astrale offre des représentations symboliques ou schématiques de planètes, de constellations, de signes du zodiaque et de décans. Et comme des anges et des démons sont réputés attachés à chaque corps céleste, leurs noms sont figurés par des symboles qui relèvent eux aussi des characteres. " (Claude Lecouteux, p. 29)

Ainsi, Louis XI avait un chapeau orné d'une foule de médailles saintes destinées à le protéger des maladies et des maléfices.

 

2- Quelle différence entre un talisman et une amulette ?


" A la lecture de ces définitions, nous constatons que la différence entre amulette et talisman est à peine marquée.

L'amulette est un corps possédant des vertus naturelles et dont l'emploi est, au Moyen Âge, licite sous certaines conditions.

Le talisman est un objet fabriqué que l'on a investi d'un pouvoir magique grâce à un rituel contraignant les influences astrales à s'y condenser.

Il faut entendre " fabrication" au sens large. Si le support est une pierre ou une gemme, on l'entaille ou on la grave ; s'il s'agit d'un métal, on façonne une lamelle à l'aide d'un marteau et on y porte une formule, des figures ou des symboles (characteres) ; si l'on choisit de la cire, elle doit être vierge, c'est-à-dire non imprégnée de qualités étrangères pouvant faire obstacle à la réception des vertus astrales. Pour le parchemin et le papier, il faudra utiliser une plume et une encre appropriées. À la fin de l'opération assez complexe, l'objet est susceptible d'avoir des effets multiples…

Un talisman peut être une amulette et vice versa, c'est une question de taille et d'utilisation. "
(Claude Lecouteux, p. 27)

 

3- Quelle est l'origine du talisman ?

— " De ces documents, il faut dire quelques mots. Pour l'Antiquité, jusqu'au Bas-Empire, les sources sont essentiellement l'archéologie et les papyri magiques grecs, l'Histoire naturelle de Pline l'Ancien, puis les écrits des Pères de l'Eglise. Sur le Moyen Age proprement dit, nous disposons, jusqu'au XIIe siècle inclus, du dire des pénitentiels et des écrits cléricaux avec, çà et là, quelques textes relevant de la littérature savante : herbiers, lapidaires, codex de médecine et de pharmacie. À partir des premières années du XIIIe siècle, nous assistons à une multiplication de textes traduits de l'arabe et remontant eux-mêmes bien souvent à des traditions gréco-égyptiennes ou chaldéennes. Peu à peu s'amplifie le nombre des traités sur les amulettes et les talismans, et leur croissance est littéralement exponentielle jusqu'à la fin du XVIe siècle, véritable âge d'or de l'irrationnel, si l'on en juge par ce biais. " (Claude Lecouteux, p. 11)

 

— " Si l'on veut bien comprendre ce qui se cache derrière toutes les prises de position des auteurs que nous citerons, il faut se reporter à Al-Kindi (vers 800-866), philosophe de l'entourage d'al-Ma'mûn et al-Mu'tasim, calife de Bagdad, qui a laissé un traité traduit en latin, à la fin du XIIe siècle ou au tout début du XIIIe siècle, sous le titre Les Rayons (De radiis).

Al-Kindi indique clairement que les characteres exercent un pouvoir sur les éléments, les points cardinaux, les hauteurs et les profondeurs, l'homme, les animaux et les végétaux (chap. VII). " Tracés avec une solennité convenable, dit-il dans le VIIe chapitre, certains characteres renforcent l'œuvre de Saturne, certains celle des autres planètes, certains celle des étoiles fixes. Certains s'accordent dans leurs effets avec le Bélier et certains avec d'autres signes. C'est l'harmonie céleste qui opère la diversité que possèdent les figures tant en vertu qu'en effet, attribuant à chacune, grâce aux rayons qu'elle émet, sa propre faculté de produire un mouvement dont dépend la diversité des formes et des figures (chap. VII) . " (Claude Lecouteux, p. 31)

 

— " Le Livre de Raziel dont parle Hartlieb est en fait le Liber institutionis qui traite, entre autres choses des anneaux magiques, que le Picatrix est un traité arabe, Le But du Sage (Ghâyat al-hakîm), vaste compilation de recettes magiques attribué à tort à Maslama ibn Ahmad al-Majrîtî, mathématicien et astronome (mort v. 1005-1008). Cet ouvrage a été traduit castillan vers 1256-1258, puis en latin sous le règne d'Alphonse X le Sage, roi de Castille. Il traite des oraisons à adresser aux esprits des planètes, des images de celles-ci, des anneaux magiques, et il reproduit de très nombreux characteres et figures. Cet ouvrage a eu un retentissement considérable, notamment auprès des alchimistes et occultistes du XVIe siècle. " (Claude Lecouteux, p. 44)

 

— " Le tableau serait incomplet si nous n'évoquions Marsile Ficin (1433-1499), dont le De vita coelitus comparanda se présente comme un véritable livre médico-philosophico-astrologique ". Ficin consacre les chapitres 13 à 20 aux talismans dont les vertus proviennent des astres. Il connaît les " grands classiques " du Moyen Âge, dont le Picatrix, et c'est à partir de son œuvre et de celle de Jean Pic de la Mirandole (1463-1494) que les érudits, du XVI au XVIIIe siècle, les Reichelt, Wolff et Arpe, prendront position sur les talismans. " (Claude Lecouteux, p. 50)


4- Comment se présente-t-il ?


— " Ces images talismaniques pouvaient être de diverses sortes : elles pouvaient être corporéiformes, c'est-à-dire renvoyer par une ressemblance naturelle à un objet ; ou bien symboliques et, dans ce cas, on pouvait les ranger dans les characteres, nom qui pouvait englober aussi les alphabets magiques. Dans le cas où ces images étaient corporéiformes, elles pouvaient représenter soit la source supposée de leur pouvoir : une entité astrale (planète, constellation etc… : sceau du Lion, sceau des Poissons...), soit l'objet ou le but visé (l'homme sur lequel on veut agir ; les deux personnes dont on désire, en les représentant enlacées, qu'elles s'éprennent l'une de l'autre etc.). (Nicolas Weill-Parot, p. 470)

 

— " Talisman vient de l'arabe tilasm et désigne un objet (pierre, anneau, etc.) portant des signes consacrés auxquels on attribue des vertus magiques de protection et de pouvoir. L'arabe tilasm est lui-même tiré du grec telesma, qui possède un large champ sémantique. Pour Clément d'Alexandrie et Grégoire de Nazianze, il possède l'acception de cérémonie religieuse ; chez les Byzantins, celle de fantôme (stocheio), et pour André le Crétois, celle d'œuvre diabolique. Le verbe télo signifie " mener à terme ", et le composé télétourgia, " le rite ". Il apparaît donc que le talisman est un objet consacré, sans doute rituellement, ce qui l'investit d'un pouvoir magique efficace et bénéfique. À l'époque byzantine, on croyait que de tels objets étaient le siège de divers démons incorporés en eux à la suite d'une cérémonie magique (télété). " (Claude Lecouteux, pp. 23-24)

 

— " L'objet habité peut avoir toutes les tailles, mais on ne le porte pas nécessairement sur sa personne, on le détient simplement, individuellement ou collectivement, et il a une vertu plus étendue que l'amulette : il permet de se défendre, d'attaquer ou de produire des effets merveilleux.

L'exemple le plus connu du monde occidental est le Palladium, une statue de Pallas tombée du ciel près de la tente d'Ilos quand le héros bâtissait Troie : les Troyens voyaient en sa possession le gage du salut de leur ville.

Le Palladium des Romains était l'Ancile, bouclier sacré tombé du ciel sous Numa Pompilius (714-671 av. J-C.) Mais si les érudits ont coutume de classer ces objets parmi les talismans des villes, il faut reconnaître que leur caractère magique et protecteur en fait plutôt des amulettes car aucune préparation particulière n'est évoquée.

Un autre objet magique très célèbre est l'anneau de Salomon, talisman circulaire gravé de deux triangles équilatéraux qui se coupent en formant un hexagone, au centre duquel est gravé le nom de Dieu. " (Claude Lecouteux, pp. 24-25)

 

5- Comment agit-il ?


— " Des mots, des figures, des images, des sacrifices, c'est ce qui est nécessaire pour obtenir et utiliser la puissance des rayons astraux.
Le Livre du Soleil (Liber solis), attribué à Hermès, recommande pour sa part d'écrire sur chaque image planétaire, entendons sur chaque talisman, les characteres de la planète concernée par l'opération magique.

— " Dans le Livre sacré d'Hermès à Asklepios, ap. 109
" Cette théorie est appelée mélothésie. La mélothésie peut être zodiacale ou planétaire, comme il ressort des textes que nous venons de citer. Le Livre sacré des décans recommande ceci pour fabriquer des phylactères contrecarrant les effets des désordres cosmiques :
" Grave sur les pierres les formes et figures des décans eux-mêmes et, après avoir placé en dessous la plante de chaque décan et aussi sa forme, et t'en être fait un phylactère, porte-le comme un puissant et bienheureux secours pour ton corps." (Claude Lecouteux, p. 102)

— Il est dit que chaque signe du zodiaque règne sur la partie du corps qui lui appartient et provoque une maladie dans son entourage. Si l'on veut être épargné, il faut graver les formes et les " characteres " des décans dans la pierre qui appartient à chacun et y ajouter sa plante ; cela fait, on porte le tout comme amulette et l'on " dispose d'un remède puissant et faste pour le corps ". Un traité nous donne les noms des décans et des pierres et des plantes lui correspondant. Ainsi, pour le Bélier, nous avons : (Claude Lecouteux, p. 102)

 

DécanPartie du corpsPierrePlanteMétal
1er
2e
3e
Tête
Tempes, nez
Ouïe, glotte, dents
Babylonienne
Sidérite
Bostrochyte
Isophrys
Cresson
Langue-de-veau
Fer
Or
Celui qu'on veut

 

Les connaissances nécessaires pour composer un talisman :

" Le Picatrix, traduction d'une compilation arabe, revient souvent sur les connaissances que doit posséder le mage voulant confectionner des talismans, et énumère même les sciences dont la maîtrise est indispensable, astronomie, mathématique, musique, etc. Avant toute autre chose, le magicien " ne doit occuper son âme, son cœur, son intelligence et sa volonté à nulle autre œuvre qu'à celle-ci, car celui qui fabrique un talisman a besoin de toute la force de sa pensée et de l'énergie du regard pour lier ensemble les esprits pneumatiques " (III. 6). Ces esprits pneumatiques sont au nombre de quatre : " L'archonte, répandu dans le monde, le pneuma de l'instrument par lequel l'esprit est attiré, le pneuma du bon sens et celui de la fabrication manuelle. " (Claude Lecouteux, p. 160)

 


6- le talisman est-il d'un usage licite ?

6.1- La Bible évoque bien les talismans ?


Matthieu 23, 5 : Ils font toutes leurs actions pour être vus des hommes. Ainsi, ils portent de larges phylactères, et ils ont de longues franges à leurs vêtements.

Deutéronome 6, 8-9 : Et ces commandements, que je te donne aujourd'hui, seront dans ton cœur.
Tu les inculqueras à tes enfants, et tu en parleras quand tu seras dans ta maison, quand tu iras en voyage, quand tu te coucheras et quand tu te lèveras.
Tu les lieras comme un signe sur tes mains, et ils seront comme des fronteaux entre tes yeux.
Tu les écriras sur les poteaux de ta maison et sur tes portes.

 

6.2- L'Eglise s'oppose à l'usage des talismans

Guillaume d'Auvergne (1180-1249), évêque de Paris, évoque les characteres dans son traité Des Lois (De legibus) et les range dans l'idolâtrie. Son développement est particulièrement intéressant car il dresse une nomenclature des talismans dans la première phrase, et fait intervenir la notion de pacte démoniaque :
" Les idolâtres des étoiles ont établi quatre genres de figures dans les planètes : les sceaux, les anneaux, les characteres et les images, qui, précise-t-il, ne ressemblent en rien aux planètes (chap. 27). Ce sont pour nous des symboles ou des codes. "

Il poursuit ainsi :
" Il faut donc détruire l'idolâtrie des characteres et des figures, des stigmates et des impressions. Nous dirons donc que la sottise de certains hommes et leur imbécillité (stultitia quorundam hominum, eaque imbecilitas) les a portés à croire que peints, gravés, imprimés ou écrits, ils possédaient une vertu divine leur permettant d'opérer des merveilles manifestement impossibles […] De tels characteres et figures ne réalisent pas ces opérations étonnantes de par leur propre vertu naturelle mais grâce à un pacte conclu avec les démons. " (Claude Lecouteux, p. 32)

 

Thomas d'Aquin (1224-1274) distingue les characteres, les images astronomiques et les nomina - noms divins, sacrés, inconnus - du signe de la croix et des reliques des saints, seuls autorisés. Il tolère les amulettes chrétiennes à condition qu'elles ne renferment aucun nom inconnu, qu'elles ne portent pas une forme particulière d'écriture et que leur attachement ne soit pas lié à une procédure spéciale, c'est-à-dire à un rituel. Il admet qu'on porte les symboles chrétiens, comme le titre triomphal, I.N.R.I., ou le monogramme du Christ ou encore les lettres grecques X M G, qui signifient : " Marie accouche du Christ", qu'on utilise l'Alpha et l'Omega… " (Claude Lecouteux, p. 29)

 

— Au milieu du 13e siècle le Speculum astronomiae, un ouvrage qui fut longtemps attribué (sans doute à tort) à Albert le Grand et qui énumérait les parties de l'astrologie et les ouvrages arabo-latins qui en traitaient, consacra un chapitre à la " science des images ". C'est dans cet ouvrage que fut forgée une notion riche d'avenir, l'" image astrologique ".

L'auteur du Speculum astronomiae faisait, en effet, la différence entre des images nigromantiques, c'est-à-dire celles qui tirent d'une façon ou d'une autre leur efficience de l'action des démons et qui sont donc condamnables, et les images dites " astrologiques " qui ne devaient leur efficacité qu'au pouvoir naturel des astres. Ces " images astrologiques " étaient les seules licites. C'est autour de cette notion naturaliste d" image astrologique ", d'image purement astrologique, que tourne tout le débat.

J'ai décidé d'appeler " destinative " la magie qui repose implicitement ou explicitement sur l'intervention d'une intelligence supérieure, qu'il s'agisse d'anges ou de démons ou d'autres esprits neutres. Le terme " destinatif " est employé pour dire que les gestes, les rituels, les paroles et les signes employés pour l'opération magique sont adressés à un destinataire intelligent - un esprit -, qui est le véritable agent de l'opération.

Aux yeux d'un théologien aussi rigoureux que Thomas d'Aquin toute magie est destinative, et toute destinativité est démoniaque car les anges n'accepteraient jamais de marchander ainsi leurs services dans les opérations des magiciens. Les démons reconnaissent dans le rituel magique un culte qui leur est explicitement ou implicitement destiné, et ils interviennent pour accomplir l'opération demandée afin de conduire le magicien vers la damnation.

Dès lors, pour tous les auteurs scolastiques souhaitant établir que tel talisman est licite pour un chrétien, il faut établir que ce talisman est naturaliste, c'est-à-dire non destinatif, non fondé sur l'intervention d'une intelligence supérieure, intelligence forcément démoniaque. Un talisman non destinatif, voilà ce qu'était cette " image astrologique ", cette image purement astrologique et donc scientifique, dont l'existence avait été postulée par le Speculum astronomiae sur la base d'un texte talismanique, le De imaginibus, attribué à Thâbit ibn Qurra, qui proposait un certain nombre de figurines à fabriquer sous des configurations astrologiques bien précises… " (Nicolas Weill-Parot, p. 470)

 

6.3- Comment surmonter la difficulté ?

— " Albert le Grand surmonta la difficulté en considérant que l'action de l'artisan pouvait se placer dans une chaîne causale naturelle partant des astres : en calculant le moment astrologique approprié, l'artisan, lorsqu'il forge la figure à ce moment précis, prédispose la matière à recevoir du cours de la nature lui-même sa nouvelle forme spécifique. La cause première est bien la constellation ; l'artisan lui sert de cause instrumentale. Albert le Grand offre ainsi l'explication naturaliste le plus aboutie du Moyen Age pour rendre compte de l'efficacité d'une image artificielle purement " astrologique ", qui reste dans le cadre de la physique péripatéticienne. " (Nicolas Weill-Parot, p. 472)

 

— Ficin, en s'appuyant à la fois sur les Ennéades de Plotin et le De radiis d'al-Kindî, soutient que les formes mathématiques précèdent ontologiquement les formes physiques, parce qu'elles sont plus simples, " moins défectueuses " et situées plus haut dans l'échelle du monde. Dès lors l'efficience de ces formes mathématiques - les figures et les nombres - ne peut pas être inférieure à l'efficience des propriétés des éléments.

Ces figures et ces nombres des parties naturelles ont des propriétés en rapport avec des espèces particulières, dans la mesure où ces formes mathématiques sont fixées dans le ciel avec les espèces. Elles sont étroitement liées aux idées qui se trouvent dans la mens mundi regina.

Les astrologues, explique Ficin, ne pensent pas que les figures soient par elles-mêmes puissantes, mais que leur parfaite conformité avec les figures célestes les rend aptes (quand elles ont été fabriquées correctement et au moment astrologiquement adapté) à recevoir des figures célestes la vertu de ces dernières. " (Nicolas Weill-Parot, p. 473)

 

— La solution de Galeotto Marzio da Narni dans son De doctrina promiscua (achevé en 1489 ou 1490) et de Jérôme Torella dans l'Opus praeclarum de imaginibus astrologicis achevé en 1496 " préserve la nécessité et la spécificité de l'image, tout en restant dans une approche physique voire matérielle du talisman qui exclut toute destinativité sous quelque angle qu'on l'envisage. " (Nicolas Weill-Parot, p. 478)

 


7- Protection individuelle et collective

7.1- Les talismans des maisons

— " Amulettes et talismans ont non seulement servi de protection individuelle, mais aussi de protection collective, par exemple dans les maisons familiales ou dans des cités. Ils défendent également les moyens d'existence, les champs le plus souvent.

Au début de notre ère, les chrétiens de Syrie écrivaient sur leurs maisons : " Fuis, fuis Abizion, car ici habitent Sisinios et Sisinia et le chien vorace " ; d'autres inscrivaient le premier verset des Psaumes 79 et 98, ou bien encore le Psaume 90 très répandu comme amulette domestique.

Dès le Moyen Âge, les juifs attachaient à la porte de leur demeure une amulette appelée mezuzah - contenant un extrait de la Thora, la loi mosaïque, et le Pentateuque qui la contient - destinée à écarter les démons.

Dans le même but, Martin Luther, le grand réformateur, écrivit sur les murs et les ouvertures de sa maison un verset de la Genèse. " (Claude Lecouteux, p. 185)

 

— " Entrant plutôt dans la catégorie des talismans du fait de sa présentation, la Bénédiction de Zacharie fut souvent associée à celle de saint Benoît. Elle se compose d'une succession de dix-huit lettres et de six croix disposées comme suit :
† Z † DIA † BIZ † SAB † ZHGF † BFRS
Celles-ci se rencontrent dans les pays de langue allemande, gravées au-dessus d'une des portes de la maison. Le sens de cette inscription énigmatique nous est connu grâce à un ouvrage de Galasius de Cilia publié en 1709. Il s'agit des lettres initiales de phrases tirées de la Bible, à savoir :
" Que le zèle de Ta maison me libère. O Dieu, mon Dieu, chasse la peste ! Dans tes mains, ô Seigneur, je remets mon esprit. Dieu existait avant que fussent ciel et terre et Sa puissance peut me libérer de la peste. Il est bon d'attendre en silence l'aide de Dieu afin qu'il éloigne la peste de moi. Je veux que mon cœur incline à respecter Tes préceptes. Je voyais les pécheurs en paix et les hommes injustes m'irritaient, et j'espérais en Toi. Je suis Ton sauveur, dit le Seigneur ! Heureux celui qui appelle l'abîme, et Ta voix a expulsé les démons. Libère-moi de cette peste ! Heureux celui qui place son espoir dans le Seigneur ! Que je sois rempli de zèle pour Dieu avant de mourir ! Que ma langue colle à mon palais si je ne Te loue pas. Les ténèbre se firent sur le monde entier à ta mort. Heureux celui qui ne recherche pas les vanités ! Le Seigneur est mon refuge. Regarde-moi, Seigneur, mon Dieu Adonaï ! Tu es mon espoir, guéris-moi et je serai guéri ! " (Claude Lecouteux, p. 85)



7.2- Les talismans des villes

" Chez les Byzantins, le recueil des Patria nous dit qu'Apollonius de Tyane dressa de nombreuses barrières magiques autour de Constantinople et que ces talismans interdisaient l'accès de la cité aux animaux néfastes, à la fois rampants et venimeux, mais aussi aux punaises, aux moustiques, aux mouches.

Un recueil arabe de prescriptions magiques, la Table d'émeraude, entre dans le détail. Là, Apollonios porte le nom de Balinas :
" Le talisman des scorpions. Il les tient à l'écart de la ville et annule leurs effets dans celle-ci. C'est le talisman que façonna Balinas pour les habitants d'Emèse et il existe encore aujourd'hui.
Observe l'entrée de Saturne dans le Scorpion quand la Lune s'y trouve, et considère le lever du signe du Scorpion. Commence alors à préparer cette image lorsque se lève la fin de la première partie du Scorpion afin que tu l'aies achevée lorsque tout le signe du scorpion est visible. La moitié supérieure de l'image représente un homme et l'autre moitié un scorpion. Pose-la sur un pilier de fer et fixe-la avec un clou solide et approprié… "

Le premier est dû à Balinas, le second à Hermès Trismégiste
" Le talisman des serpents. C'est celui que le sage Balina a fixé sur les murs d'Epiphania. Il le grava dans une pierre qu'il inséra dans celles de la construction du château, et il y est resté jusqu'à aujourd'hui. Les serpents fuient devant lui, où qu'ils se trouvent, et si une vipère mord quelqu'un et que cette personne se précipite vers cette image et la regarde, elle est délivrée de son mal et guérie […]
Description du talisman qu'Hermès fabriqua contre les vents violents afin de les calmer. Si on en prend l'empreinte dans la cire et l'emporte sur un navire en mer, on est protégé des vents tempétueux… " (Claude Lecouteux, p. 187-188)